En République de Guinée, seulement 11% des femmes utilisent des méthodes de planification familiale. Un taux bas dû aux perceptions que la société a de ceux et celles qui recourent à ces méthodes, mariés ou pas.

Enceinte à 16 ans

Aujourd’hui épanouie et activiste des droits des femmes, Foulématou Camara fait partie de ces jeunes filles qui ont manqué d’éducation sexuelle et d’information sur le sujet de la planification familiale. Il y’a quelques années, précisément pendant les vacances scolaires de 2014, elle a connu sa première grossesse. Une grossesse précoce à 16 ans, alors qu’elle préparait son Brevet d’études du premier cycle (BEPC), alors que le taux d’utilisation des méthodes de contraception était autour de 6 % en 2012. « J’ai vécu quelque chose de très difficile parce que quand je suis tombée enceinte à 16 ans, je n’avais pas de soutien de ma propre famille, ni de mon père. Orpheline de mère, j’ai grandi avec mon papa et mes tantes mais sincèrement, je n’ai eu le soutien de personne. Tout le monde m’a rejetée et pensé que j’avais échoué (…) Ma famille m’avait chassée. J’ai quand même passé deux ou trois jours dans la rue parce que je n’avais pas un logement », raconte la jeune fille avec une pointe de tristesse. Il faut dire que c’est seulement à trois mois de son accouchement qu’elle a appris qu’elle était enceinte. Une nouvelle qui allait marquer sa vie. En effet, durant sa grossesse, Foulématou pense à se suicider. Ceci, parce que son entourage et ses parents qui voient en elle le symbole de la honte, la critiquent et la rejettent. « Parfois, quand je rentrais chez moi, je pleurais, fondais en larmes. Certaines fois, je me demandais même s’il ne fallait pas abandonner l’école. J’ai même eu envie de me suicider, parce que mon papa ne me parlait pas, personne ne me parlait et je me disais que personne ne m’aimait. Il était donc préférable que j’aille rejoindre ma maman, me disais-je. Vraiment, ça n’allait pas, et vu mon âge, c’était trop pour moi », se remémore celle qui est pourtant devenue une activiste.

Perceptions et déficit d’information

De nos jours, beaucoup de filles pourraient ne pas vivre une telle mésaventure. En effet, différentes méthodes contraceptives sont à leur disposition. Toutefois, selon le Réseau international des femmes d’aujourd’hui (Today’s Women International Network/RIFA), 55% des centres de santé en Guinée n’offrent pas d’accès à la planification familiale. Ce qui place le pays au bas de l’échelle dans l’utilisation des méthodes de planification avec seulement 13% des femmes âgées de 15 à 49 ans qui en sont utilisatrices, contre 20% au Sénégal, 23% en Côte d’ivoire et 28% au Burkina Faso. Cette faiblesse expliquant les 22% de besoins non satisfaits en matière de Planification familiale chez les femmes de 15-49 ans actuellement en union, selon l’Enquête démographique et de santé (EDS V, 2018).

De fait, le problème auquel se heurte la planification familiale en Guinée est en rapport avec la façon dont la société, plutôt conservatrice, conçoit le principe même de la contraception, qu’on a tendance à assimiler à une ‘’caution’’ à la débauche.

Pourtant, l’Islam accepte le principe de la planification familiale, tant que celle-ci ne conduit pas « la femme à blesser définitivement son appareil génital de reproduction » assure El Hadj Mansour Fadiga, imam de la mosquée de Nongo et chroniqueur islamique. Certes, dit le religieux, l’Islam condamne les grossesses hors mariage, considérées comme issues de l’adultère dont la sanction peut aller jusqu’à la lapidation. Mais « si avec la pauvreté, la femme estime qu’il ne faut pas avoir beaucoup d’enfants et qu’elle veuille recourir à des moyens qui peuvent l’aider à ne pas tomber enceinte pour un certain temps, cela, l’islam le permet. Par contre, l’islam ne permet pas à la femme de blesser définitivement son appareil génital de reproduction », explique El Hadj Mansour Fadiga. Ceci étant, il prend soin de préciser, citant un verset du Coran : « les mères qui veulent donner un allaitement complet allaiteront leur bébé deux ans complets. Au père de l’enfant de les nourrir et de les vêtir de manière convenable ».

Indépendamment de la conception que la religion se fait de la contraception, la société guinéenne dans son ensemble voit souvent en celles qui recourent à la planification des « prostituées ». Un jugement dépréciatif qui incline les filles et les femmes à une certaine méfiance quant à l’utilisation des méthodes contraceptives. C’est du moins ce qui ressort de ce témoignage, de Géneviève, une étudiante âgée de 22 ans. « Dans ma vie, je n’ai été qu’une seule fois à la pharmacie pour acheter des préservatifs. Et je pense que je ne le referai plus. C’est à l’homme de le faire. A voir juste comment le pharmacien te regarde, tu sens qu’il t’assimile à une prostituée, alors qu’on veut juste se protéger », confie-t-elle en effet.

La gêne que Géneviève décrit, Foulématou l’a elle-même constatée dans des centres de santé où des filles venaient solliciter des services de planification familiale. Aujourd’hui vice-présidente du réseau des jeunes ambassadeurs pour la planification familiale, elle admet que la mauvaise perception de la planification et de celles qui y recourent est une réalité. « Quand tu viens dans un centre de santé où c’est la femme qui doit réceptionner, quand tu poses ton problème en disant je viens me renseigner sur la planification familiale, elle te dit toi enfant tu te planifies pourquoi ? ». Conséquence, selon elle : « La jeune fille devient directement réticente, elle quitte et ne reçoit plus les informations qu’elle devait avoir », rapporte-t-elle. Déficit d’information d’autant plus qu’accentué que, selon l’EDS V (2018), à peine « 5 % des femmes non utilisatrices de la contraception ont reçu la visite d’un agent de santé avec qui elles ont parlé de planification familiale, 9 % seulement des non utilisatrices ont, au cours des 12 derniers mois, visité un établissement de santé et parlé de planification familiale. À l’opposé, 26 % ont visité un établissement sanitaire mais n’ont pas parlé de planification familiale. Par conséquent, pour une femme sur quatre ayant visité une formation sanitaire, l’occasion de s’informer sur les services de contraception n’a pas été saisie. Globalement, il ressort des résultats que neuf femmes non utilisatrices de méthodes contraceptives sur dix (89 %) n’ont parlé de planification familiale ni avec un agent de santé, ni dans un établissement de santé et cette proportion reste élevée quelle que soit la caractéristique sociodémographique ».

Soupçons d’infidélité

Les préjugés dont la planification familiale est entourée sont tels qu’au sein des couples, ce sont les hommes qui ne veulent pas en entendre parler. Ainsi, Aminata Barry, infirmière et mère de 5 enfants, a dû se cacher de son époux pour se planifier. Elle dit n’avoir pas eu le choix. « Personnellement, j’avais voulu qu’on se limite à 4 enfants et à l’époque, je le lui avais dit. Il avoir répondu n’y voir aucun inconvénient, mais s’était opposé à ma volonté de me planifier. Il m’avait dit que je n’en avais pas besoin et j’avais senti qu’il me soupçonnait de vouloir le tromper. Il était allé jusqu’à s’imaginer que je n’étais pas satisfaite avec lui et que je voulais aller voir ailleurs. Bref, on s’était même disputés », explique-t-elle. Seulement, elle était tombée enceinte une cinquième fois, elle et son mari n’ayant pas réussi à tenir leur engagement réciproque d’utiliser le préservatif. Tirant les leçons de tout cela, Aminata Barry a préféré cette fois, son dernier enfant ayant déjà un an et demi, ne même pas poser le débat en famille. « Cette fois ci, pour ne pas répéter l’erreur, sachant que si je lui dis, la même dispute va reprendre, j’ai préféré ne pas lui en parler. Comme ça, cette fois je suis sûre qu’on s’arrêtera à 5 », dit-elle.

Contraception vs Mariage

Pour sa part, Traoré Zaïnoul, sociologue, enseignant chercheur à l’université de Sonfonia, pointe une espèce de contradiction entre le principe même de la planification familiale et les objectifs assignés au mariage par la société guinéenne. Si la planification vise à contrôler les naissances, on attend de la famille qui se marie qu’elle procrée. « Quand on est dans le mariage, la femme est appelée à procréer, à donner naissance. Donc, parler par exemple de la planification familiale, c’est dans la représentation sociale de nos communautés, empêcher la femme d’avoir des enfants, même si en réalité, ce n’est pas ça. L’homme, quand il est marié, il veut un enfant, ça fait partie de nos cultures, de notre richesse. La richesse au moins peut se mesurer ainsi. Donc, laisser la femme faire la planification familiale chez nous, l’homme peut voir ça d’un mauvais regard, il ne va pas admettre. Un couple marié qui va mettre trois mois à un an sans enfanter, on va commencer à se demander la faute est à qui », dit le sociologue.

Aujourd’hui, alors que l’objectif du partenariat de Ouagadougou est d’atteindre 13 millions d’utilisatrices des méthodes modernes d’ici 2030, plusieurs acteurs croient qu’il faut miser sur la sensibilisation et l’éducation, celle à la planification surtout. « Pour vraiment faire progresser la planification familiale dans nos sociétés, il faut mettre un accent sur l’éducation des enfants. Il faut aussi engager une éducation sur la planification. D’abord, montrer les conséquences d’avoir les enfants avec des grossesses rapprochées et faire comprendre à la population quelles sont les meilleures méthodes permettant d’éviter les conséquences. En plus de cette éducation, engager des sensibilisations et des communications sur les conséquences des naissances rapprochées », suggère Foulématou. Qui pense en outre qu’il ne faut surtout pas réduire la question qu’aux femmes. « Ce n’est pas une question de femmes ou de filles, c’est une question de population et les hommes et les femmes sont tous concernés. Il faut les inviter, leur faire voir les conséquences des naissances rapprochées et leur expliquer les avantages liés à la planification », recommande-t-elle.

Elisabeth Zézé Guilavogui

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